Le monde eut l’occasion de se faire une idée du trafic d’arme avec les Philippines lorsque en octobre 1986, une explosion eut lieu à l’arrière d’un avion de la Thai Airways se rendant de Manille à Osaka. La déflagration fit plonger l’appareil de plus de 6500 mètres en quelques minutes, catapultant les passagers à l’intérieur de la cabine. Le pilote réussit à se poser en urgence. Plus de 100 personnes étaient blessées.
Les enquêteurs découvrirent que le responsable était un membre de Yamaguchi-gumi qui revenait des Philippines avec une grenade à bord. D’après la police, ce dernier s’était enfermé dans les toilettes pour pouvoir dissimuler l’engin d’origine américaine aux douaniers, mais alors que l’avion traversait une zone de turbulences, il l’avait accidentellement dégoupillée. Aux Philippines, les grenades et autres armes du même genre sont disponibles au marché noir et auprès de soldats corrompus. En perquisitionnant les locaux d’un groupe de trafiquants d’armes baptisé la Manila Connection, la police de Manille découvrit des mitrailleuses, des fusils automatiques, 50 pistolets, assez de munitions pour soutenir un siège, et diverses drogues.
Peu de temps auparavant, le cerveau de la bande, Hiroaki Kumitomo, un yakuza de trente et un ans, avait été retrouvé mort dans une voiture, dans la banlieue de la capitale. La police supposa que ce meurtre était lié à une vente de drogue qui avait mal tourné. Beaucoup d’autres yakuzas ont été retrouvés flottant dans les eaux troubles des rivières de Manille, suite à des dissensions internes ou des conflits avec des partenaires locaux. En réalité, qu’ils soient du bon ou du mauvais côté de la barrière, beaucoup de Philippins ont du mal à supporter la présence des gangsters japonais dans leurs pays. A une époque, des groupes de guérilleros les prenaient même pour cible.
Parfois, les victimes sont d’innocents Japonais par hasard présents au mauvais endroit au mauvais moment. Pendant des années, les Philippines ont été le théâtre de meurtres sur commande organisés par les Japonais. Entre 1978 et 1981, la police put relier au moins quatre meurtres à des escroqueries à l’assurance. Les malfaiteurs obligeaient d’abord, par intimidation, tel ou tel homme d’affaire à souscrire au Japon en leur faveur d’énormes polices d’assurance sur la vie. Dans un second temps, ils attiraient, sous quelque prétexte, leurs victimes à Manille et, pour 2500 dollars, s’assuraient les services de tueurs à gages philippins qui les liquidaient. Après le quatrième assassinat de touristes japonais, les autorités eurent finalement vent de la combine et, en 1981, la police et l’armée s’emparèrent d’un camp d’entraînement, dans une ville au sud de Manille, où s’exerçaient les tueurs. Huit suspects furent arrêtés, des cibles, des cartouches et un petit lot d’armes de poing saisis.
Les autorités philippines ont mené des campagnes antiyakuzas au fil des années, ce qui donne une idée de l’ampleur des activités de la pègre japonaise dans ce pays. Des bateaux de contrebande et des denrées ont été saisis, des fugitifs ont été traqués et des gangsters reconduits à la frontière. Entre 1975 et 1983, la police, selon la presse, a arrêté et expulsé 83 yakuzas suspects. En 1990-1991, une autre campagne de répression a permis l’arrestation et l’expulsion d’une douzaine de Yakuzas. Parmi les délits qui leur sont reprochés : trafic de drogue, possession illégale d’armes, dépassement de visa, traite des femmes. Inquiète de l’afflux de ces personnages peu recommandables, en 1991, les autorités établirent le profil type du yakuza ; elles demandèrent aux services de l’immigration de faire attention aux Japonais tatoués, arrogants, ayant les cheveux permanentés, portant des vêtements voyants, des bijoux de prix, et dont le petit doigt était amputé. Cette année-là, plus de cent personnes furent refoulées à la frontière. En une seule journée, les autorités de l’aéroport refusèrent l’entrée à un groupe de seize japonais tatoués, auxquels il manquait une phalange. Mais bientôt, des pressions se firent sentir pour qu’on rouvre les portes aux ressortissants nippons.
Un nouveau commissaire à l’immigration affirma que ces pratiques étaient contraires aux droits civiques. Beaucoup de représentants des autorités, malheureusement, se préoccupaient plus des pots-de-vin que des libertés civiles. « La corruption est omniprésente », expliqua l’un des chefs de la police de l’immigration, dans l’impossibilité d’accomplir son devoir correctement. « Les inspecteurs et les hauts fonctionnaires acceptent des dessous de table, quant à la police des aéroports, elle se fait de l’argent de poche en escortant les visiteurs jusqu’à la sorite de l’aéroport ». Ces escortes permettent bien sûr d’éviter les inspecteurs de l’immigration.